Entre Lyon et le plateau des Glières
Le Clan Spéléo des Troglodytes, initialement du Troglodyte, est un des clubs les plus anciens de Lyon.
L’histoire des Troglos, c’est l’histoire de trois époques bien distinctes. Trois cycles avec trois équipes dirigeantes bien séparées. Mais une chose n’a jamais changé : son identité. Une même philosophie de la spéléo unit ses membres depuis 50 ans. C’est la marque de fabrique des Troglos, que l’on pourrait résumer par cette phrase : pratiquer en toute sécurité, pour le bonheur des yeux et du corps, sans course ni compétition.
L’époque des fondateurs (1964-1969)
Tout commence fin 1963. Plusieurs étudiants lyonnais, passionnés par les récits de Martel et de Casteret, souhaitent se regrouper pour aller explorer quelques trous en montagne. La structure des Éclaireurs de France est parfaite pour se lancer dans l’aventure. Peu satisfaits par les groupes existants, ils décident de créer leur propre structure : le Clan Spéléo du Troglodyte est né. D’abord situé sur les pentes de la Croix-Rousse, le club déménage en 1967 dans son local du 8ème arrondissement, où il est encore aujourd’hui. La question du secteur d’exploration est cruciale, même si à l’époque les zones vierges ne manquent pas. Le cousin de Jean-Marc Béraud (Bellus), ancien résistant, se rappelle avoir caché des munitions dans une grotte sur le plateau des Glières pendant la guerre. L’idée germe alors que ce secteur pourrait être intéressant à explorer en spéléo… et le premier camp est organisé sur le plateau en 1964.
S’ensuivent 5 années intenses sur ce petit coin de Haute-Savoie, alors à peine accessible depuis la vallée et bien peu fréquenté. Un lien se crée immédiatement entre la petite équipe de spéléos – ils sont seulement une poignée – et les quelques habitants du plateau. La famille Bonzi accueille les premiers camps sur son terrain, alors que le père, Adrien, est en train de construire son chalet-auberge des « Lanfiannes ». Cette relation se retrouve bien dans le témoignage de Jean-Claude Lalou, un des tous premiers Troglos : « […] Cette année-là, notre camp était monté plus loin sur le plateau, c’est-à-dire plus près du Crépon. Nous avions installé une ligne téléphonique entre ce nouveau camp et le chalet du père Bonzi (une lubie sécuritaire). La seule utilisation effective de cette ligne, à mon souvenir, était de s’annoncer pour les thés du soir chez le père Bonzi. Celui-ci, malgré sa licence de buvette d’alpage très restrictive, nous versait une lampée de rhum dans le thé : l’odeur qui envahissait alors la buvette était le signe évident qu’il outrepassait un peu les limites de sa licence…« . Danielle Bonzi, la fille du propriétaire, se lie d’amitié avec l’équipe et l’accompagne dans bien des aventures.
Côté spéléo, la première est bien entendu au rendez-vous. De la bouche d’Eric Vandamberg (Rico), « il suffisait de se pencher« . Le premier puits de la tanne à Paccot (A2) est exploré dès la première année, puis c’est au tour du Toutou Cocu en 1967. Le matériel est rudimentaire et fait sur-mesure. Rico raconte : « Pour le matos, nous construisions nos échelles nous-mêmes de différentes longueurs, et nous passions quelques après-midi de temps libre penchés sur le moteur de la « Prairie » [véhicule Renault], pour lui redonner une nouvelle jeunesse et chercher des terrains d’aventures en dehors de Lyon« .
C’est à partir de 1968 que le club peut enfin compter sur un logement en dur sur le plateau. On investit le Chalet des Cros. Avec une entente du propriétaire, le club en assure l’entretien et fait plusieurs améliorations au fil des années.
Cette même année, l’essentiel de l’équipe doit quitter Lyon, soit pour trouver du travail, soit pour des raisons personnelles. Le clan des Troglodytes aurait ainsi pu disparaître aussi vite qu’il était apparu. Par chance, un petit nouveau, très motivé, reste lui à Lyon et s’accroche aux Glières : Christian Quet. Il connaitra la première extinction de masse du clan et sera à l’initiative d’un deuxième cycle de vie…
L’épopée des Glières (1970-2005)
S’ensuivent deux années compliquées où le club, composé de deux spéléos seulement – Christian Quet et Michel Albert (Yoyo) – cherche un nouveau souffle. A la mode russe, les deux spéléos alternent de rôle entre président et trésorier… Le club se résume à deux copains célibataires qui passent tous leur WE au plateau, hiver comme été, à la recherche de nouvelles premières et de champignons.
Cependant, dès 1973 le club retrouve une équipe solide, soudée autour d’un noyau dur : d’abord uniquement Christian, puis Régis Gallet et Alain Gilbert viennent le rejoindre. Les camps d’été se multiplient et l’activité spéléo des Troglos continue à se concentrer presque exclusivement sur l’exploration de la montagne des Frêtes, au nord du plateau. Les efforts portent leurs fruits : plus d’une centaine de cavités sont répertoriées et topographiées. Un premier inventaire est ainsi publié en 1978.
Cette même année, un évènement tragique endeuille le club : Jean-Claude Charamel se noie, accroché sur une corde, sous une cascade d’eau, dans la tanne T405 qui portera ensuite son nom. Le secours est particulièrement difficile et délicat, avec un sur-accident. Un des secouristes reçoit sur la tête un caillou qui a coupé son casque en deux. Le décès de Jean-Claude aux Glières a fortement marqué l’ensemble du Clan, ainsi que les habitants du Plateau. Plus de 25 ans après l’accident, une minute de silence était toujours prononcée au début de chaque Assemblée Générale en sa mémoire.
L’année suivante c’est Philippe Schildnecht (Chipette), un autre membre du club, qui décède subitement en pleine sortie spéléo dans le Vercors, avec le SC de Villefranche : rupture de spit et basculement sous une cascade.
Ces deux évènements, bien que traumatisants, encouragent les membres à poursuivre les explorations, mais en redoublant d’attention sur la sécurité. Les principales grandes cavités des Glières sont explorées et approfondies à cette époque : tanne du Toutou Cocu, tanne El-Oued, trou Gloudyte, tanne à Alain, tanne à Jean-Claude, tanne aux Suisses, tanne à Mumu, etc.
En 1980 le clan quitte les Éclaireurs de France pour rejoindre la FFS. Le club sort alors régulièrement dans le Bugey, dans des nouveaux trous qui deviendront des classiques : La Morgne, Le Crochet, La Moilda… Toutefois la motivation et l’activité s’essoufflent un peu, jusqu’à la découverte inespérée de la suite de l’A2 après le puits d’entrée, par Christian en 1985. A partir de cette date et pendant près de 20 ans, l’essentiel de l’activité d’exploration se concentre sur cette cavité qui, petit à petit, tirs après tirs, mètre cube de boue après mètre cube de boue, atteint la cote topographiée -412 m. La fin de l’explo est plus ou moins décrite dans un compte-rendu de septembre 1997 : « Christian, Jean-Pierre et Sébastien jonctionnent les deux réseaux finaux et s’arrêtent sur un méandre un peu trop étroit à leur goût« .
En 1998 Sébastien Lextrait, membre du clan, bat le record du monde de profondeur à -1610 m dans le gouffre Mirolda (74) avec l’équipe de Daniel Colliard. Depuis 1993, le club est alors dirigé par Bernard Grison, avec toujours le même trio historique qui donne le cap. La fin des années 90 voit l’activité se ralentir progressivement et se réorienter vers la visite de classiques en Ardèche, dans le Vercors ou dans l’Ain. Le deuxième cycle arriverait-il à son terme ? En effet, une équipe plus jeune se manifeste, animée par une énergie nouvelle mais toujours motivée par le rêve de percer le mystère du collecteur des Glières. Cette équipe est d’abord composée de Laurence et Raphaël Bacconnier, dès 1999, puis de François Martin qui les rejoint en 2004.
L’époque moderne (depuis 2006)
Certes le plateau des Glières reste le site de prospection emblématique du club, mais Laurence et Raphaël (les Baccos) vont insuffler un vent nouveau dans les activités. Ils multiplient les initiations et les propositions de sorties en classique, partout en France et tous les week-ends. Aidés par François qui lance le site internet du club en 2005, une toute nouvelle équipe se construit avec les Baccos. Les « anciens » sont dans un premier temps partie prenante des activités mais progressivement, ils s’éloignent du club… pour se recentrer exclusivement sur le plateau des Glières. Ils forment même leur propre association, les « amis des Cros », en toute amitié avec le reste du clan, fort heureusement.
Les Troglos, troisième génération, continuent à travailler sur les Glières (découverte du réseau de la Framboisine, rééquipement de l’A2…), mais aussi dans le Vercors (Scialet des Saveurs) et surtout dans le Bugey (Perte de Dorvan). Mais il faut bien reconnaitre que c’est le nombre de tickets d’initiation et de sorties classiques qui forgent la réputation des Troglos. François, puis Simon Vuylsteke et enfin Sébastien Bouchard (Caribou) dirigent le club en essayant de conserver une unité dans ce groupe renouvelé.
Aujourd’hui, avec plus de 40 membres, le clan spéléo des Troglodytes ne s’est jamais aussi bien porté, à une époque où il est difficile de fédérer de nouveaux spéléos en France. L’esprit des Troglos, qui animait les premiers éclaireurs en 1964, continue à nous habiter. Et si la présence aux Glières se fait plus rare, elle n’a pas disparu pour autant, grâce au travail acharné et passionné de quelques-uns. Notre président dirige maintenant un club éclectique, à multiples facettes, mais ô combien uni et fidèle à un même esprit de la pratique spéléologique. Un esprit qui traverse les âges et… les cycles de vie.